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Hiver | Short Extrait

Quand j’ai ouvert la porte arriĂšre, il a sursautĂ©.

C’était un bruit sec, mĂ©tallique, la poignĂ©e grinçant sous ma paume tremblante. Je ne savais pas ce que je cherchais exactement — peut-ĂȘtre une sortie, peut-ĂȘtre un fantĂŽme. Et puis je l’ai vu. Assis sur une vieille poubelle bosselĂ©e, capuchon relevĂ©, les jambes pendantes comme s’il attendait que le monde se calme. Il avait une cigarette entre les doigts, presque finie, et son regard s’est accrochĂ© au mien pour rien qu’un moment.

J’ai essayĂ© de faire semblant. Comme si c’était un hasard. Comme si je n’étais pas venue lĂ  exprĂšs. Je me suis avancĂ©e un peu, les mains dans les poches de mon manteau trop grand, et j’ai laissĂ© mes yeux s’habituer Ă  l’ombre. Il ne disait rien. Juste le bruit du vent qui passait entre les murs, le crĂ©pitement lointain d’un nĂ©on fatiguĂ©, et cette odeur familiĂšre de tabac bon marchĂ©, de bĂ©ton mouillĂ©, de quelque chose d’un peu triste.

J’ai demandĂ© une cigarette. Sans rĂ©flĂ©chir. Je n’avais jamais fumĂ©. Il m’a regardĂ©e sans vraiment levĂ©e les yeux, et a dit qu’il n’en avait pas, qu’il l’avait eue de quelqu’un d’autre. J’ai dit “Ah.” comme une idiote, puis je suis restĂ©e debout lĂ , Ă  cĂŽtĂ© de lui, Ă  ne rien dire.

Je me souviens de la maniĂšre dont il tenait sa clope, entre l’index et le majeur, un peu maladroitement, comme si fumer n’était pas encore un rĂ©flexe mais une posture apprise. Il avait l’air jeune. Pas enfant, pas adulte non plus. Quelque part entre les deux. Comme moi.

C’est lui qui a parlĂ© en premier. Il m’a demandĂ© comment je connaissais Megan. Il disait qu’il nous voyait souvent ensemble. J’ai hĂ©sitĂ©. Parce qu’on n’est pas censĂ© dire, pas censĂ© raconter d’oĂč on vient, qui on est vraiment. RĂšgles du centre. ConfidentialitĂ©. Mais il Ă©tait lĂ . Il Ă©tait dans le mĂȘme bĂątiment que moi. Alors j’ai dit merde. Et je lui ai rĂ©pondu.

Je lui ai dit qu’on venait du mĂȘme unitĂ©. Il a hochĂ© la tĂȘte lentement. Il a dit qu’il m’avait peut-ĂȘtre vue Ă  l’assemblĂ©e la semaine passĂ©e. J’ai eu un petit rire nerveux. Puis j’ai demandĂ© son nom. Il a rĂ©pondu “Opaque.” Un surnom, Ă©videmment. Je l’ai regardĂ© un moment, les sourcils lĂ©gĂšrement levĂ©s, sans rien dire. Juste un petit regard qui voulait dire allez, le vrai maintenant. Il a soufflĂ© du nez, Ă  peine un sourire. Puis, il a murmurĂ©, “Joshua.” Un prĂ©nom simple. Doux. C’était la premiĂšre fois que je l’entendais, mais je savais dĂ©jĂ  que je n’allais pas l’oublier.

Je lui ai demandé pourquoi il était là.

Il a cru que je parlais du club. De ces salles privĂ©es, oĂč les filles sourient trop fort, et oĂč l’argent disparaĂźt toujours plus vite que les regards. Il a haussĂ© les Ă©paules et dit, “Pour du fric.”

Mais ce n’était pas ça, ma question.

Je parlais du centre. De l’autre cĂŽtĂ© de la porte. De ce bĂątiment aux murs trop blancs, aux repas tiĂšdes, Ă  l’odeur de linge dĂ©sinfectĂ©. Du vrai pourquoi. Le pourquoi derriĂšre le pourquoi. Ce qui blesse un garçon au point qu’on l’enferme.

Il a Ă©crasĂ© sa cigarette contre le sol, l’a piĂ©tinĂ©e doucement, puis s’est levĂ©. En passant Ă  cĂŽtĂ© de moi, il a dit, “Ici, on apprend Ă  ne pas poser ce genre de questions.” Et il est retournĂ© Ă  l’intĂ©rieur, comme si rien ne s’était passĂ©.

Mais quelque chose s’était passĂ©. Moi, j’étais restĂ©e lĂ , seule dans l’air froid, le cƓur un peu plus lourd, et le nom ‘Joshua’ rĂ©sonnait encore dans mes oreilles comme une chanson que j’allais Ă©couter trop de fois.